G. Andrey u.a.: L’Acte de Médiation

Cover
Titel
L'Acte de Médiation. Socle d'une nouvelle Suisse


Autor(en)
Andrey, Georges; Tornare, Alain-Jacques
Erschienen
Bière 2017: Editions Cabédita
Anzahl Seiten
101 S.
von
Denis Tappy

Sous ce titre sont réunies deux interventions présentées lors de la 9e Journée d’études napoléoniennes à Morges en février 2016 par deux des meilleurs connaisseurs francophones de la Suisse du début du XIXe siècle, bien connus des lecteurs de cette revue, qui s’étaient déjà associés notamment pour étudier la vie et la carrière de Louis d’Affry (G. Andrey et A.-J. Czouz-Tornare, Louis d’Affry, 1743-1810, premier Landamman de la Suisse, la Confédération suisse à l’heure napoléonienne, Genève: Slatkine, 2003). L’ouvrage se compose de deux parties, formellement qualifiées de chapitres, mais correspondant en réalité à deux études autonomes ayant chacune un seul auteur.

Dans la première, intitulée «Comment est né l’Acte de Médiation?» (pp. 13-56), Alain-Jacques Tornare présente de manière renouvelée la genèse de ce dernier, à la fois comme texte constitutionnel et comme choix de régime politique, à travers en particulier la convocation de la Consulta de Paris, son déroulement et ses résultats. Il évoque certaines publications récentes, en particulier issues de travaux liés aux commémorations du bicentenaire dudit Acte de Médiation en 2003, mais recourt aussi à de multiples documents de première main. On sera donc heureux de trouver dans sa présentation des références à des textes inédits en particulier des Archives nationales à Paris, qu’il est l’un des rares historiens actuels à connaître et à utiliser abondamment, des Archives fédérales à Berne et des Archives cantonales fribourgeoises. Sa grande connaissance des sources françaises permet aussi à l’auteur d’utiliser d’anciennes publications peu connues chez nous, comme les Mémoires ou le Journal de Roederer. En revanche, sans doute par souci de ne pas charger exagérément l’appareil critique, toutes les publications récentes relatives à l’Acte de Médiation ne sont pas utilisées et il arrive à l’auteur de citer seulement d’après les originaux des documents ayant fait aujourd’hui l’objet d’éditions critiques, par exemple s’agissant des procès-verbaux des séances la Consulta, désormais édités par Victor Monnier.

L’optique est résolument favorable à l’intervention napoléonienne et au régime de la Médiation, présenté comme une préfiguration de la Suisse moderne comportant déjà en germe les principaux traits du régime fédératif qui sera finalement adopté en 1848. L’auteur estime dès lors ledit régime injustement maltraité, voire ignoré par l’historiographie traditionnelle. Ce dernier trait, qui rejoint des réflexions déjà avancées dans plusieurs autres travaux du même auteur, nous paraît un peu forcé: il ne nous semble pas certain que les années 1803-1813 soit sous-étudiées par rapport à d’autres: tant la République helvétique, au sujet de laquelle la même affirmation a parfois été faite, que le Régime de la Médiation apparaissent au contraire, en tout cas depuis la série de travaux parus en lien avec les commémorations récentes, des périodes de l’histoire suisse abondamment étudiées, surtout si l’on songe à leur brièveté… Quant à l’idée qu’il s’agirait de sujets injus tement mal aimés dans l’historiographie dominante, n’est-ce pas finalement une simple question d’optique? Beaucoup d’historiens en Suisse n’ont certes pas éprouvé une sympathie considérable ni pour la République helvétique, ni pour le régime mis en place par Napoléon entre 1803 et 1813, mais n’est-ce pas un choix aussi légitime que celui d’insister essentiellement sur les aspects favorables? D’ailleurs, ne devrait-on pas alors, comme souvent en matière d’histoire suisse, distinguer à cet égard des tendances cantonales? Pour les historiens vaudois en tout cas, le Régime de la Médiation est très largement présenté sous un jour favorable, dès le XIXe siècle et jusqu’à nos jours. Peut-être en irait-il de même dans l’historiographie en allemand ou italien s’agissant d’autres cantons créés en 1803, comme l’Argovie, Saint-Gall, la Thurgovie ou le Tessin, alors que c’est évidemment moins le cas de ceux qui ont considéré surtout la structure de la Suisse dans son ensemble ou l’histoire des anciens cantons.

Quoi qu’il en soit, la vision très positive de l’Acte de Médiation retenue par Alain-Jacques Tornare, qui s’appuie sur de nombreuses réflexions pertinentes, au niveau fédéral aussi, mérite d’être prise en considération. L’auteur sait d’ailleurs trouver des formulations choc, voire provocatrices, comme lorsqu’il voit dans les conceptions de Napoléon l’esquisse de la «formule dite magique qui a fait les beaux jours de la démocratie helvétique depuis 1959» (p. 28) ou écrit que «le fédéralisme… est une invention napoléonienne» (p. 29). Relevons encore une indication terminologique qu’il est sauf erreur le premier à mettre en évidence: constatant que le Landamman, en pouvant s’appuyer sur le chancelier et le secrétaire d’État complétés par un puis deux adjoints, préside un début de gouvernement central, il note l’utilisation dans un document de janvier 1813 de l’expression de «directorat confédéral» pour désigner ce dernier (p. 50 et p. 56 n. 106).

La contribution de Georges Andrey, intitulée «Qui gouverne la Suisse sous le régime de la Médiation?» (pp. 59-96), a une tout autre approche. Elle s’interroge en effet sur la réalité du pouvoir central dans le régime issu de la Médiation, sous l’angle à la fois historiographique et sociopolitique. L’auteur distingue plusieurs réponses possibles: ledit pouvoir pourrait avoir en réalité appartenu entre 1803 et 1813 à la France, voire à Napoléon personnellement. Le Landamman, Louis d’Affry en premier, n’aurait dès lors été qu’une sorte de «préfet de la Suisse» aux ordres de Paris, formule contemporaine déjà puisqu’elle apparaît dans une lettre de 1803 de Frédéric-César de La Harpe. On pourrait aussi voir dans les institutions mises en place en 1803 «un régime ploutocratique», soit une sorte d’aristocratie fondée sur la richesse plutôt que sur la naissance, par référence à l’importance du cens électoral mis en place dans la plupart des cantons. Une troisième conception, que l’auteur qualifie d’«hypothèse idéologique», consistant à considérer que l’Acte de Médiation a fait passer la direction effective du pays à des modérés «ni aristocrates, ni libéraux», ne retient que superficiellement son attention. Il mentionne néanmoins plusieurs textes de 1803 préconisant un tel rejet des extrêmes et même de «l’esprit de parti» en général. Enfin, la Suisse pourrait avoir été informellement gouvernée entre 1803 et 1813 par une sorte de «triumvirat » résultant de l’entente entre trois des landammanns qui se succéderont, Louis d’Affry, Hans von Reinhard et Nicolas Rodolphe de Watteville, chacun exerçant finalement deux fois la charge. Appuyés sur le premier chancelier de la Confédération, en fonction durant toute la période, le Vaudois d’origine Marc Mousson, auquel l’auteur a récemment consacré une monographie (G.Andrey et M. Oeri von Auw, Marc Mousson 1776-1861, Premier Chancelier de la Confédération suisse, Bière: Cabédita, 2012), ils auraient formé «un groupe informel permanent». La bonne entente entre ces personnages, complétée par une certaine unité de vues et d’origines sociales, leur aurait permis de gouverner en fait le pays dans une mesure dépassant celle directement prévue par la structure institutionnelle.

L’auteur ne cache pas sa préférence pour cette dernière analyse, soulignant la qualité de la gouvernance réalisée par les landammans et le chancelier précités, malgré un contexte international et un environnement institutionnel peu favorables. Sa contribution comporte dès lors de riches indications sur la fonction de landamman et la manière dont elle a été comprise et exercée durant la période considérée. Il n’en analyse pas moins de façon intéressante les autres réponses envisagées. La vision d’une Suisse ploutocratique entre 1803 et 1813, un brin provocatrice, repose en particulier sur des développements novateurs sur le cens prévu par la plupart des constitutions cantonales incluses dans l’Acte de Médiation, avec des tentatives de chiffrer la réduction du corps électoral, qui à Fribourg atteint les deux tiers, entre les institutions de la République helvétique et celles du Régime de la Médiation.

Cette partie de son analyse conduit Georges Andrey à une vision moins positive dudit régime que dans la contribution d’Alain-Jacques Tornare. Il souligne la régression de la démocratie et des libertés par rapport à la République helvétique, qui justifie à ses yeux le nom de «Petite Restauration» qui a parfois été donné à la période de la Médiation. Ajoutons que cet auteur profite aussi de son étude pour d’intéressantes digressions. Il consacre ainsi plusieurs paragraphes (pp. 73 ss.) à une institution issue de l’Ancien Régime et consacrée dans plusieurs constitutions cantonales de 1803, le grabeau. Il s’agissait d’une possibilité de révoquer en cours de mandat un élu par une sorte de vote de défiance, qui n’est pas sans rappeler la procédure d’impeachment de la constitution américaine. Corollaire d’élections en principe à vie ou pour de longues périodes, cette institution – encore consacrée par certaines constitutions cantonales de la première moitié du XIXe siècle – disparaîtra ensuite avec l’instauration d’élections générales plus rapprochées. Signalons enfin que l’auteur est le premier à notre connaissance à relever (pp. 96 ss. et n. 58) que le terme de République helvétique demeure utilisé à plusieurs endroits de l’Acte de Médiation pour désigner l’ensemble confédéral mis en place en 1803. Faut-il y voir comme il le propose une plus grande continuité qu’on ne le croyait généralement entre les institutions de 1803 et celles de 1798-1802, ou plus prosaïquement une manière de marquer la continuité étatique (comme en 1804 le sénatus-consulte créant le Premier Empire affirmera que «La République est un Empire» ou en 1919, au contraire la Constitution de Weimar proclamera «Das Reich ist eine Republik »)?

Au total, l’ouvrage présente ici une contribution précieuse à la connaissance de l’Acte de Médiation et du Régime qui en est issu. On y chercherait vainement une synthèse complète sur celui-ci, que le titre choisi et la proximité des commémorations de 2014-2015 aurait pu laisser supposer et que les deux auteurs seraient particulièrement bien placés pour réaliser, mais les qualités relevées ci-dessus font dudit ouvrage aussi bien une source de renseignements inédits pour les spécialistes qu’une lecture des plus plaisantes pour tous les amateurs d’histoire intéressés par cette période charnière.

Zitierweise:
Denis Tappy: Georges ANDREY, Alain-Jacques TORNARE: L’Acte de Médiation. Socle d’une nouvelle Suisse, Bière: Cabédita, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 257-259.

Redaktion
Autor(en)
Beiträger
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 257-259.

Weitere Informationen